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CD-DVD Clairvaux ; Or, les murs …

— septembre 2010

Cris du silence A Clairvaux (Aube), l’abbaye des moines du XIIè, regroupés autour de la règle du silence de Bernard, est aussi le lieu d’incarcération des détenus de longue peine.
Faire chanter les pierres, donner de l’âme au vide: telle serait la prise de conscience que peut susciter le travail du compositeur Thierry Machuel filmé ici par le réalisateur Julien Sallé. Comment ne pas s’enfoncer peu à peu dans le néant quand tout sombre dans la peine et l’oubli. Etre prisonnier, c’est conserver néanmoins une conscience et
espérer qu’une personne, “or les murs”, pense encore à vous…

Le travail sur l’état des prisonniers en France, est immense : c’est le chantier humaniste des prochaine années. Tout en n’atténuant en rien la gravité des actes commis, puisqu’il s’agit dans le film, des prisonniers de longue peine voire de détenus à perpétuité. La caméra accompagne la réalisation de toute la démarche à Clairvaux : donner la parole aux incarcérés. Les images sont fortes, parfois dures ; les témoignages
authentiques, toujours centrés sur l’humain, la souffrance et la solitude nées de l’isolement et de l’enfermement. Tout est dit avec pudeur, écoute, ouverture. Un tel travail mériterait d’être poursuivi en
réalisant la même démarche auprès des victimes. Et la boucle serait bouclée. Entendre la souffrance de l’autre, c’est accepter sa solitude et son impuissance …

La caméra filme la rencontre de Thierry Machuel avec les prisonniers auteurs des poèmes qu’il met ensuite en musique. Liberté, évasion, désir de dignité, humanité et souffrance… c’est un terreau très riche pour le
compositeur toujours attentif au sens précis des mots: “...Cité des âmes perdues, compagnon de misère, murs où transpire la souffrance… “.
La première nuit passée en incarcération est toujours la plus dure… réflexion sur sa propre vie et le poids des actes à assumer désormais.
Le compositeur face aux prisonniers, écoute leurs poèmes, recueille leur détresse et leur désir de beauté (un rossignol qui chante, un chevreuil dans la forêt, l’appel et la beauté de la nature…). “Hier ne compte pas, hier ne compte plus. Le passé est passé… ce qui compte maintenant c’est notre vie future… Moi je t’aime au présent, au
futur…”

La voix des chanteurs recueille et amplifie ce chant de l’humain si profond qui s’élève du vide des prisons et du dénuement des pierres…


L’écriture de Thierry Machuel touche au plus juste et avec cette pudeur suggestive qui le caractérise, la puissance des mots ainsi libérés. Du texte dont il a écouté la formulation par les auteurs eux-mêmes, le
musicien a conçu deux cycles: “Paroles contre l’oubli“, “Nocturnes de Clairvaux“, pour choeur de chambre a capella, auxquels répondent 3 pièces pour instruments dont se distingue le piano à quatre mains de Lebensfuge (François-René Duchâble etThierry Machuel, piano), qui serait ce “cri du silence” dont parle l’un des témoins-acteurs du film.

Il y a des prisonniers qui se dérobent par pudeur, par humilité, guère habitués au dévoilement brutal que provoque la présence d’un compositeur venu avec la caméra recueillir leurs paroles.

Voici un travail de mémoire, le récolement admirable d’un homme à l’écoute (comme Bartok quand il recueillait les chants perdus des campagnes de sa terre natale): Thierry Machuel crée autant d’écrins pour
projeter et dire des textes bouleversants. La caméra filme aussi l’écoute des auteurs découvrant au moment du concert final, la musique composée sur leur propres mots.


A l’heure où tant de souffrance s’échappe des prisons françaises, -condition des prisonniers, pensée de l’enfermement, angoisse et menace…-, le cd et le film ne pouvaient mieux tomber pour souligner l’humanité des êtres enfermés …

En ne prenant pas parti, le film pose clairement la question : quel type de regard pouvons-nous décemment porter sur les détenus des prisons françaises? En particulier sur ceux qui veulent s’en sortir. Regard de
haine et de ressentiment ou regard de compréhension voire de pardon et de compassion ? Le sujet est délicat et mérite un vrai débat… La société peut-elle être plus barbare que les criminels qu’elle a jugés ?
N’y aurait-il pas la place à un discours critique qui entrevoit une chance pour celui qui souhaite témoigner de son humanité et s’amender ? C’est d’ailleurs tout l’apport du plaidoyer contre la peine de mort, écrit par Victor Hugo à l’évocation de Clairvaux, à la fois abbaye et bastille… C’est aussi le sens de la préface de Robert Badinter au livret du coffret, qui souligne les rêves, la nostalgie des “exilés” avec lesquels le contact avec la communauté des hommes libres, a été rompu …

L’immersion dans les répétitions entre
les chanteurs qui interprètent les poèmes des détenus sous la conduite
du compositeur, lui-même chef de chant, s’avère passionnante : tout un
travail sur la matière musicale se dévoile sous le regard des
prisonniers aux-mêmes.
Ne pas oublier la faute que l’on a faite, c’est une forme de repentance…” dit
avec sincérité l’un des détenus. L’isolement génère de la dureté.. une
certaine forme de combat aussi. C’est une lutte quotidienne pour ne pas
sombrer. Pour le prisonnier à perpétuité, l’espoir d’en sortir préserve
de l’évasion ou du suicide ; chacun garde coûte que coûte l’esprit de
liberté. Difficile de rester de marbre à l’écoute des poèmes ; la perception
en est grandie car au-delà des crimes commis, le questionnement du compositeur veut croire en l’homme, capte et souligne cette part d’humanité qui heureusement ne s’est pas, dissipée …

Posté le par Lucas Irom ClassiqueNews

*

La partie vocale de ces disques est le fruit des ateliers d’écriture menés par le compositeur Thierry Machuel (°1962) avec des détenus de la prison de Clairvaux, et qui ont été présentés lors du festival « Ombres et Lumières » à l’abbaye, en septembre 2009.  Initiative passionnante qui s’emparant de la dualité du lieu de Clairvaux, abbaye et prison, permet de lancer un pont entre deux institutions que rapprochent la notion d’enfermement, qu’il soit accepté ou subi, « établissant une fraternité singulière et riche de sens » (Robert Badinter).  Les textes écrits par des détenus – comme ceux rédigés par des moines de Cîteaux, en quelque sorte en répons – sont mis en musique sous forme de chœurs a cappella.  Ils traitent des thèmes associés à l’enfermement : la nuit, l’oubli, le silence.  L’écriture chorale dépouillée qui utilise un langage personnel (superposition des textes, mélismes protéiformes de la voix jusqu’au chuchotement), en restitue la poétique, le sobre naturel et la vraie profondeur.  Trois pièces purement instrumentales prolongent ces chants, elles aussi d’une belle élévation de pensée.  Chants de captivité (2009) – ou, selon Machuel, « sept visions de mes visites à Clairvaux » – proposent les images d’un monde imaginaire, de révolte et de résignation ; d’espoir aussi.  Leçons de Ténèbres pour trio à cordes forment une série de courtes variations sur l’ombre et la lumière.  Le discours instrumental est entrecoupé de silences plus ou moins longs, « stricts ou légèrement habités » dit l’auteur.  Le recueillement procède d’une écriture serrée, comme raréfiée dans sa dernière partie.  Enfin, Lebensfuge (fugue de vie), « improvisation écrite » pour piano à quatre mains, décrit une évasion intérieure, par une série de courtes séquences basées, là encore, sur des thèmes liés à la vie carcérale.  Leur fluidité sonore les place dans le sillage de la manière des grands maîtres français du piano.  L’engagement et le talent des interprètes réunis contribuent à faire de toutes ces pièces, au-delà de leur valeur musicale, la manifestation d’une expérience humaine rare. Le film, tourné dans la prison, conduit au cœur même du projet d’atelier d’écriture avec les détenus.  Un dialogue entre quelques prisonniers et le musicien tout à leur écoute, nous fait cheminer des textes imaginés par eux à leur mise en musique, puis à leur interprétation en concert.  La caméra s’attarde sur les longs couloirs de l’abbaye ou les vastes coursives de la prison, alternant images de locaux désaffectés et plans en extérieur, en un jeu troublant d’ombre et de lumière.  Elle saisit avec pudeur la parole des détenus.  Celle-ci est riche, où reviennent les thèmes de l’oubli impossible, du temps arrêté, de la solitude qu’un rien peut soulager, de l’absence de repère.  Et on s’arrête sur ces mots lourds de sens, tel qu’« un cri de silence », ou « l’avenir c’est un gouffre ».  Surtout, le film rend perceptible en quoi cet atelier unissant texte et musique a rendu à ces hommes le sens d’exister, ce « j’étais moi », comme le dit simplement l’un d’eux.  

L’éducation musicale, décembre 2010

Septembre 2010

CD-DVD « Clairvaux, Or les murs … », Aeon AECD 1092, distribution Harmonia Mundi, 2010

Chœur de chambre Les cris de Paris, direction Geoffroy Jourdain

Régis Pasquier, François-René Duchâble (Chants de captivité))

Trio Pasquier (Régis et Bruno Pasquier, Roland Pidoux) (Leçons de Ténèbres)

François-René Duchâble, Thierry Machuel (Lebensfuge)

Film documentaire de Julien Sallé (avec le chœur Mikrokosmos, direction Loïc Pierre), sur les ateliers d’écriture menés par Thierry Machuel avec des détenus de la Maison centrale de Clairvaux (2009).

2CDs + 1DVD Aeon : AECD1092.  TT : 60’41 + 36’20 (CDs) et 60’00 (DVD).

 

Grand Prix de l’Académie Charles Cros

5 Diapasons

Clé d’or de Res Musica           

 

Extraits audio

  • Paroles contre l'oubli, 1
  • Paroles contre l'oubli, 2
  • Paroles contre l'oubli, 3
  • Paroles contre l'oubli, 4
  • Paroles contre l'oubli, 5
  • Paroles contre l'oubli, 6
  • Paroles contre l'oubli, 7
  • Paroles contre l'oubli, 8
  • Paroles contre l'oubli, 9
  • Paroles contre l'oubli, 10 (Ez dut ahaztu)
  • Nocturnes de Clairvaux (paroles de détenus)
  • Nocturnes de Clairvaux (paroles de moines)
  • Nocturnes de Clairvaux (dialogues)
  • Chants de captivité, 1
  • Chants de captivité, 2
  • Chants de captivité, 3
  • Chants de captivité, 4
  • Chants de captivité, 5
  • Chants de captivité, 6
  • Chants de captivité, 7
  • Leçons de Ténèbres
  • Lebensfuge, Obscurité
  • Lebensfuge, Mouvement
  • Lebensfuge, Echappée
  • Lebensfuge, Liberté
  • Lebensfuge, Conscience