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Classique News 2009

à propos du CD « Sur la terre simple »

Attention, ce nouveau cd Machuel est un enchantement. Mikrokosmos se délecte à exprimer chaque nuance de ce vitrail vocal et choral : dirigés par Loïc Pierre, les chanteurs sont exemplaires en justesse, tenue de voix, articulation, intensité, dynamique. C’est un jaillissement constant de couleurs, de vibrations humaines d’une étonnante prégnance

Ce disque est davantage qu’un énième enregistrement de musique chorale contemporaine: le souci de la  langue et du texte, de la poésie et de sa déclamation, du verbe comme instance dramatique, comme invitation introspective et autocritique, s’y dévoile au diapason des propres recherches esthétiques et formelles du compositeur Thierry Machuel, né parisien en 1962. On avait déjà loué son superbe disque Psalm (2003, également édité par « label inconnu »). Le connaisseur familier y retrouve plusieurs perles emblématiques de sa signature en particulier la première pièce (Un étranger, avec, sous le bras, un livre de petit format) sur un poème d’Edmond Jabès né au Caire en 1912 : les premiers vers laissent envisager ce dont il est question: « L’étranger te permet d’être toi-même, en faisant, de toi, un étranger ». Thierry Machuel nous parle bien d’altérité salvatrice, d’heureuse fraternité à revivre, réinventer, reconquérir. Aussi d’identité secrète, en souffrance, de destin muet, de « vies singulières ». La force et la violence de son style tient à cette exceptionnelle profondeur humaine qui surgit constamment dans l’apparemment sans histoire, murmuré, chuchoté à peine…

Dans le texte de Jabès, le passage du français à l’espagnol suggère ce glissement d’une identité à l’autre, d’une langue à l’autre : tissage parallèle ou mieux métissage en regard, qui recompose cette altérité fraternelle rêvée, réalisée dans la musique grâce à la médiation de la voix. Mais une voix entendue comme une entité collective faite de mille volontés agissantes dans l’ombre, tenaces, fourmillantes et aussi tellement rassurantes dans la résolution de leurs prières multiples. La pièce vaut d’être écoutée encore et encore, autant pour la qualité de son écriture vocale et chorale : tout l’univers  poétique, intimiste, énigmatique, suspendu, hypnotique de Thierry Machuel y échafaude des architectures et des ponts successifs, entre ivresse et langueur (extase d’Al infinito…), jardins des fourmillements sonores qui se concluent finalement, peu à peu, en une sorte d’embrasement de l’intime, en une série de murmures en cascades, un miroitement de plus en plus ténu.
Tout le disque est à l’aune de cette immersion dans la pure poésie qui inspire en retour le poète musicien: « le chant choral peut alors devenir (…)…, un prisme où saisir dans l’âpreté des couleurs, nos ombres et nos lumières ».  Chaque stance, en canon et contrepoint dialogués, permette aussi au choeur d’être ce personnage principal, d’exprimer en coeurs mêlés, simultanés tout ce qui occupe l’esprit actuel du compositeur. Soucieux d’inventer « l’opéra choral », nouvelle forme « dans laquelle il serait question de suivre l’épopée d’une communauté humaine, et non d’une poignée de solistes privilégiés. »

La prouesse de la communauté des solistes du choeur Mikrokosmos se délecte à exprimer chaque nuance de ce vitrail vocal et choral: dirigés par Loïc Pierre, les chanteurs sont exemplaires en justesse, tenue de voix, articulation, intensité, dynamique. C’est un jaillissement constant de couleurs, de vibrations humaines d’une étonnante prégnance : le chant d’une humanité accordée, à l’écoute de tous et de chacun.

En français dont le poème « La parure éphémère » (et neigeuse) d’Yves Bonnefoy, en danois (Under en sten, « sous une pierre »), en anglais (hymne lyrique de l’antienne de la création dans Le royaume invisible), âpreté et austérité en portugais de Caminho, mais aussi italien et espagnol : tous les solistes s’engagent pour articuler la formidable énergie, projeter l’espérance des textes. Tension, mystère, relâchement, détente, puis murmure : ici, le chant se fait expérience, réalisation d’un idéal par l’humain, pour l’humain. Comment dès lors, n’être pas déconcerté et conquis par la résonance d’une  écriture si passionnément humaniste? Sublime.

Thierry Machuel: Sur la terre simple. Oeuvres profanes pour choeur a cappela. Solistes du choeur Mikrokosmos. Loïc Pierre, direction.

Lucas Irom – mercredi 10 juin 2009