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Diapason, mars 2010 

Au chœur du texte

Longtemps confiné à la pratique amateur, parfois de haute qualité, le chant choral savant ne s’est professionnalisé en France que dans la seconde moitié du XXème siècle, suscitant l’éclosion d’œuvres dont la difficulté d’exécution était trop souvent la principale vertu. On avait l’impression, d’ordinaire, que les voix chantaient les unes contre les autres. Autant dire que la première apparition, il y a quelques années, d’une œuvre de Thierry Machuel dans un programme dirigé par Laurence Equilbey n’est pas passée inaperçue. Elle a été très applaudie mais, par quelques-uns, du bout des doigts seulement.
Son tort ? Elle sonnait merveilleusement bien, et cette intimité évidente du créateur avec la sensualité de l’élément vocal semblait incompatible avec une certaine idée de l’avant-garde. Peut-être, d’ailleurs, en est-on toujours là, même si la musique de Machuel, essentiellement dédiée au chœur, a désormais trouvé sa place dans l’éventail de la création contemporaine.
Car ceux qui ont été conquis d’emblée ont perçu, chez cet auteur encore inconnu, une force de conviction qui, pour affirmer si tranquillement sa singularité, devait venir du fond de l’être. La pratique du chant choral a toujours été si intimement mêlée à sa vocation de compositeur que Machuel s’y est dédié sans même en faire le choix. Le manque qu’il ressentait de ne pouvoir chanter des textes assez significatifs a fait naître en lui le désir d’en chercher ; la mise en musique s’est imposée avec la découverte de Paul Celan.
D’une façon générale, ainsi qu’il le souligne, les poèmes choisis par ses soins « peuvent être considérés comme des témoignages précieux sur un fragment douloureux de l’histoire de l’humanité, des ghettos de Harlem à la résistance à toute dictature. Mais ces témoins possèdent une sorte d’élévation de la vue, de la pensée, au-dessus du point particulier de leur propre vie ; une dimension métaphysique, comme un dialogue avec l’Invisible, où l’on en resterait toujours aux questions, laissant le lecteur au seuil de lui-même ».
Ces choix lui imposent une double responsabilité : conserver l’intelligibilité du texte sans en déflorer la part de mystère et donner à l’ensemble vocal une corporéité assez organique pour qu’il puisse porter le message. Au brouillage sémantique d’une écriture polyphonique complexe, Machuel préfère la fluidité des imitations aérées, des échos, des tuilages, des dialogues entre les voix d’hommes et de femmes. De longues tenues contribuent à l’assise de l’édifice : certaines voix, traitées comme des instruments, murmurent, créent un halo ou glissent insensiblement pour créer une ambiguïté tonale féconde, tandis qu’au premier plan, des groupes ou des solistes alternent pour énoncer les poèmes avec une éloquence naturelle. L’anthologie « Psalm » est une irrésistible invitation au voyage dans les contrées de ces symphonies vocales inouïes, si humaines.

Gérard Condé